Après le suicide de son père, une jeune femme mène son enquête pour comprendre ce geste. Une piste la mène aux abrahamites, une société secrète aux traditions mystérieuses...
Les enfants d'Abraham est une production de Fantastic Discovery (déjàresponsable de La secte sans nom (1999) de Jaume Balaguero), filiale dela compagnie espagnole Filmax, elle-même maison-mère de Fantastic Factory (Dagon(2001), Darkness (2002)...). Fantastic Discovery ayant pour vocationde produire, pour des budgets modestes, les premiers films de jeunesréalisateurs, c'est logiquement qu'elle s'est tournée vers Francisco Plaza,dont c'est le premier long-métrage, et qui a auparavant tourné plusieurscourts-métrages, dont certains primés. La secte sans nom, inspiré d'unroman de Ramsay Campbell, avait connu un beau succès de notoriété. Ses producteurs décidentdonc d'adapter à nouveau un livre de cetécrivain : The pact of the fathers. Toutefois, le budget étant trèsmodeste, il faut se contenter d'acteurs anglo-saxons pratiquement inconnus (EricaPrior...) ou habitués aux seconds rôles : John O'Toole (Le général (1998)de John Boorman...), Frank O'Sullivan (Michael Collins (1996) de NeilJordan...). On remarque toutefois, dans le rôle de Theodore Logan, la présencede Craig Hill, qui fut, en son temps, une vedette du western spaghetti (Quinzepotences pour un salopard (1968), Clayton l'implacable (1968)...).
Une des qualités les plus frappantes de Les enfants d'Abraham estcertainement son récit extrêmement soigné. Alors que La secte sans nom souffraitd'une histoire bourrée d'impasses et de graves problèmes de rythme, ce nouveaufilm bénéficie d'un rythme certes lent, mais toujours égal. L'enquête estmenée du seul point de vue de Daniella, personnage d'autant plus fragilequ'elle est émotionnellement extrêmement touchée par le suicidemystérieux. A aucun moment, elle ne pourrabénéficier du soutien de la police qui, très tôt, va faire preuve demauvaise volonté. Son seul soutien sera le père Elias,âgé et diabétique, dont elle-même aura tendance à se méfier. Le reste desa famille semble ne rien savoir des circonstances du suicide. Quant à samère, suite à une attaque, elle est devenue, pratiquement, un"légume", confiée aux soins d'une institution spécialisée. C'estdonc pratiquement seule que Daniella va devoir creuser dans les mystérieusesaffaires de son père....
Paco Plaza choisit d'emblée, pour son film, un style extrêmement assez neutre.Sa réalisation élégante favorise souvent des plans-séquences assezatones et froids. Cela peut, au premier abord, déconcerter, tant Les enfantsd'Abraham donne une impression de lenteur et dedistance. Pourtant, ce choix se révèle vite judicieux. Cette direction offre au film une grande cohérence stylistiqueet rythmique. A partir du moment où les éléments du scénario sont bien misen place, l'œuvre devient d'elle-même passionnante, sans avoir à recourir àdes effets stylistiques expressionnistes très appuyés (dans le style de ceuxutilisés, par exemple, par Balaguero dans La secte sans nom) ou àtransformer certains moments forts du métrage en des tours de force techniques,risquant de briser l'équilibre du métrage. La réalisation ne s'emballe quepour des instants de panique, rares, précis, complètement justifiés par ledéroulement du récit. S'appuyant avant tout sur son excellent scénario, sesacteurs et la force émotionnelle qu'ils dégagent, Plaza choisit de se fairediscret et refuse d'adopter un style tapageur.
Pourtant, la discrétion du style n'implique pas une absence de mise en scène,loin de là. D'une part, elle permet Plaza d'inscrire son récit dans une cadrecontemporain réaliste, socialement assez bien déterminé, qui en renforce lavraisemblance. Cela rappelle des titres desannées 1960-70, comme La nuit des morts-vivants (1968) de George Romero,Rosemary's baby (1968) de Roman Polanski ou La malédiction (1976)de Richard Donner. Ce réalisme est encore renforcé par le choix d'acteursinconnus, ce qui permet de donner aux personnages une touche banale, quotidienne.Cela ne veut pas dire que l'interprétation soit médiocre. Certainsacteurs, notamment parmi les seconds rôles, sont excellents (John O'Toole, Craig Stevenson...).
Plaza va faire fonctionner sa mise en scène en parfaite harmonie avecson scénario : celui-ci met en place, dans un premier temps, une situationcontenant, a priori, certains clichés de l'épouvante et du suspens : les personnagesinquiétants de Toby Harris, ou le prêtre... Jouant sur les préjugés duspectateur, la réalisation va alors appuyer la perception que celui-ci a de la situation initiale. Or, dans un second temps, ces clichés vont être renverséset pris à revers par la progression des évènements, qui révèlera ainsi un récit laissant unegrande place au pathétique et à un regard émouvant et mature porté sur l'aventure deDaniella.
Les enfants d'Abraham culmine dans un final bouleversant. A nouveau,Plaza refuse les effets bruyants devant lesquelles n'auraientcertainement pas reculé un Balaguero. La situation inouïe et triste àlaquelle aboutit ce drame est présentée dans toute sa nuditédéchirante et scandaleuse. Certes, ce final est noir, pessimiste. Mais cepessimisme n'a rien d'une ficelle facile, utilisée systématiquement. Plaza porteun regard ému et emprunt de compassion sur ces personnages, y compris sur lesprotagonistes les plus coupables qui, par respect pour des traditions absurdes,en viennent à commettre l'innommable.
Les enfants d'Abraham est un film exigeant. Il ne séduit pas par unstyle appuyé ou par sa virtuosité technique. Plaza cherche avant tout àraconter une très solide histoire, dont les rebondissements, habiles,fonctionnent de façon cohérente, et dont les personnages sont humains ettouchants. Relativement bien reçu dans les festivals, il ne connaîtratoutefois pas vraiment de succès en Espagne. En France, accueillitièdement par la critique, il sera distribué en plein mois d'août, sacrifiédans seulement deux (petites) salles parisiennes.
Bibliographie consultée :